Le 8 novembre 2016
Par Cécile Rossard
Clarifier ses objectifs : susciter l’intérêt des élèves et les faire entrer ensuite dans des apprentissages disciplinaires ? Travailler des compétences méthodologiques et sociales ? Travailler sur des notions à la croisée de deux disciplines ?
Il n’y a pas de hiérarchie dans ces objectifs, mais il convient juste de clarifier en amont nos enjeux et notre posture, pour construire la forme d’interdisciplinarité adéquat et offrir aux élèves le plus de chance d’entrer dans les apprentissages.
L’article qui suit présente plusieurs formes de pratiques interdisciplinaires proposées entre mathématiques et EPS dans un collège.
Exemple de capacités transversales abordées lors de la première sortie « maths-EPS » :
– Découvrir le quartier
– Construire des règles communes au groupe avec respect de chacun (ne pas se moquer, s’écouter…)
– S’imposer dans le groupe :
– Prendre des initiatives,
– Proposer ses idées.
– Prendre le temps de réfléchir avant de se jeter dans l’action – Essayer, se tromper, recommencer…
– S’écouter, accepter l’avis des autres, échanger…
– Faire avec tout le groupe
– Coopérer au sein d’un groupe (donner le résultat de l’opération à ses camarades) – S’encourager.
– Respecter des règles du jeu communes.
– Respecter l’arbitre et les adversaires du moment.
– Respecter l’environnement
– Vivre ensemble un moment de convivialité
Les apprentissages, au croisement des disciplines, une réflexion sur un dispositif « maths –EPS »
Au sein des établissements, il est courant de voir émerger différentes formes d’interactions entre les disciplines. Les enseignants ont rapidement mis en évidence que provoquer des liens entre leur matière et une autre, vécue par leurs élèves, dans cette même unité d’enseignement qu’est le collège, éveillait le plus souvent la curiosité des élèves, et permettait parfois de donner davantage de sens, ou tout au moins de cohérence à des notions trop souvent morcelées, cloisonnées entre les quatre murs de la classe.
Le simple fait que les élèves s’aperçoivent que leurs enseignants communiquent entre eux, sur leur propre personne, et sur les compétences et connaissances qu’ils construisent, apporte un côté plus humain à l’acte d’apprentissage. L’élève cesse d’être un « espace de cerveau disponible », rerempli à chaque heure de cours, mais peut prétendre à être un individu en formation se construisant à la croisée de différents champs de connaissances.
De façon spontanée donc, les enseignants tentent d’échanger sur leurs élèves, voire sur les contenus d’enseignement qu’ils proposent. De façon ponctuelle, l’on peut rencontrer un enseignant qui va rebondir sur une notion vue en maths pour illustrer une notion de physique par exemple. Nous sommes ici sur le pôle de la pluridisciplinarité : étude d’un objet sous plusieurs points de vu, on procède par ADDITION (Bourguignon).
Cette première forme de pratique peut s’avérer occasionnelle, ou bien être « organisée », « anticipée » entre les professeurs pour tenter de donner plus de sens à leurs enseignements. Au sein de notre collège, s’inscrivant dans cette perspective, des « ateliers maths-EPS » ont été mis en place pour les sixièmes. Concrètement, les vendredi après-midi sont consacrés à des travaux spécifiques de maths, d’EPS et des croisements possibles entre ces deux disciplines autour d’objets de savoir commun. Il va par exemple être possible de relever des temps de course en EPS, et de faire un travail numérique en mathématique qui partira de ces données, issues de l’expérience motrice des élèves.
Cependant, nous devons reconnaître que ce genre de pratique restent très « superficielle » en terme d’acquisition, et a pour principal objectif, non pas la construction de savoir commun, mais l’adhésion des élèves à un exercice mathématique. Cela est loin d’être inutile, et exploiter des données qui ont un sens pour l’élève ne peut que favoriser à la fois son investissement dans le travail numérique, et éventuellement, (l’investissement étant nécessaire, mais non suffisant), faciliter l’acquisition de ces opérations.
Nous faisons ici appel à ce que Meirieu nomme la pédagogie de l’intérêt. Avec un regard un peu critique mais finalement assez proche de nos pratiques, l’auteur s’exprime ainsi : « Regardons quels sont les intérêts de nos élèves et prenons appui sur eux pour introduire plus ou moins subrepticement de nouveaux objets qui entretiennent quelque rapport avec ces centres d’intérêt… Parions aussi que cette proximité provoquera un déplacement d’investissement affectif des intérêts premiers (superficiels ! les intérêts « spontanés » sont toujours superficiels !) vers des centres d’intérêt plus conformes aux programmes (les « intérêts profonds », toujours miraculeusement accordés avec l’offre de formation !) »
Il est vrai que les liens maths et EPS peuvent rapidement se glisser dans cette catégorie. L’EPS amenant le côté « attrayant », permettant d’aller vers les choses « sérieuses » que sont les mathématiques.
Dans cette optique, nous effectuons une sortie en début d’année, avec toute la classe, accompagnée du professeur d’EPS et de mathématiques. L’idée est de se rendre dans un parc, lieu neutre et convivial, pour « faire des maths en jouant ». Le corps est mobilisé (jeu de Bérêt…) mais aucun objectif moteur n’est formulé spécifiquement. Si certains élèves apprécient pleinement ce moment et trouvent dans le côté ludique de l’approche matière à s’investir et à réfléchir, d’autres nous font pertinemment la remarque « mais en fait, on ne fait pas du tout d’EPS là ! ».
Je présente cette phase du projet, non pas pour la « dénoncer » comme inutile, mais simplement pour pointer le fait que nous n’osons parfois pas nommer nos vrais objectifs, qui sont ici non pas liés à l’acquisition de savoirs disciplinaires identifiés, mais qui répondent à la fois à l’objectif de créer, par la pédagogie de l’intérêt, un levier motivationnel pour entrer dans les apprentissages mathématiques et à la fois l’objectif de poursuivre des compétences d’ordre social et méthodologique très importantes en début de sixième comme la « construire sa place dans le groupe classe, rassembler des idées le plus vite possible, coopérer à plusieurs pour réaliser un exercice, prendre confiance en ses capacités d’intégration au sein de camarades…». Pour reprendre l’une des définitions d’A. Bourguignon, nous serions ici, sans vouloir le dire clairement, dans de la « transdisciplinarité entendue comme l’intégration à la connaissance de tout ce qui n’est pas pris en compte par les disciplines ». Et qui pourrait par ailleurs mériter plus d’attention et nous inciter à formuler plus explicitement ces compétences et connaissances (cf. tableau ci-dessus).
Une réflexion est aujourd’hui engagée entre les enseignants sur le sens de ce projet « maths-EPS » au collège. Une fois que nous avons osé formuler et poser comme tel, avec toute l’importance que cela a pour nos élèves, ce premier axe de pluridisciplinarité, pouvons nous en rester à ce niveau ? Pouvons nous notamment mobiliser des moyens humains et horaires si conséquents pour mettre en place ce lien qui pourrait, devrait, se faire au quotidien, au-delà de la présence de dispositifs spécifiques ? Les enseignants ont eu envie de poursuivre cette réflexion et tentent cette année d’investir différemment, ou du moins, d’ajouter une autre facette à ce projet, qui pourrait être de l’interdisciplinarité qui selon Bourguignon renvoie à une coopération entre disciplines mutuellement au service les unes des autres pour atteindre un objectif. On procède par COMBINAISON.
C’est ainsi que les enseignants de maths et d’EPS peuvent se donner un objectif commun comme l’acquisition des notions de mesures, ou des notions espace-temps. Concrètement, il peut s’agir, d’aller sur un stade, de mesurer physiquement, avec ses foulées les mesures d’un terrain de hand, puis de reprendre ces données en cours de mathématiques, d’intégrer la notion d’échelle, pour arriver à mieux évaluer les mesures « in situ » et concrétiser ces apprentissages par la réalisation par exemple d’un terrain de hand à une certaine échelle dans la cour de récré ou par leur recontextualisation lors d’un travail de cours d’orientation. Nous pourrions associer cette approche à ce que Meirieu appelle la pédagogie du projet « on parlera de mettre l’élève « en situation de projet », en lui faisant anticiper mentalement la situation de réutilisation de ce qu’il apprend ».
La notion de relation espace-temps peut également trouver matière à faire sens dans ce croisement des disciplines. En EPS, il est fréquent de constater que les élèves n’ont aucune idée de la longueur d’un terrain, et encore moins du temps qu’il leur faudra pour parcourir la dite distance. Ils n’ont pas non plus intégré la notion de vitesse, associée à un corps vivant (et non motorisés). Vivre, en cours d’EPS le temps mis pour parcourir telle distance, intégrer les notions de fatigue, de vitesse… peut être un élément important dans la compréhension intellectuelle des formules mathématiques, ou la représentation mentale de tel espace, formes géométriques… Et à l’inverse, comprendre mathématiquement ces relations, peut donner du sens à la notion d’allure de course, et à la connaissance de soi.
Meirieu enrichit encore cette réflexion sur le sens en proposant la pédagogie de l’énigme, où l’on considère que le désir peut naître d’une situation elle-même parce qu’elle est bien construite et que l’énigme qu’elle contient est capable de mobiliser les énergies. Il y a toujours à comprendre dans ce que l’on fait et du plaisir à prendre dans cette compréhension des choses qui nous renvoie à l’élucidation du mystère de notre origine. Ces situations sont encore à inventer !